L’injure, extrema ratio

• Rédigé par Marc Bonnant - -

« Qui critique les autres travaille à son propre amendement. » (1)

Il n’est pas une page de Schopenhauer qu’on ne lise sans opiner du bonnet, avec force résignation, consterné par la vérité originale, parfois cruelle, qu’on y découvre, et d’emblée, à la joie que l’on éprouve de se faire encore surprendre par un « classique », tout iconoclaste qu’il fût déjà en son temps, on conçoit aisément que ce penseur-là ait pu exaspérer ses pairs avec son impertinence chronique, son incoercible agressivité. Fichte, Hegel, Schelling… Postkantien comme eux, il préférait la première mouture de la Critique à sa version tardive, qu’il jugeait trop théiste à son gré. Schopenhauer l’athée, le « pessimiste de Francfort », se range dans un postkantisme singulier, loin des académismes : son tour incisif et son goût du paradoxe le distinguent de ces « philosophrastes » qu’il exècre au point de les agonir sans relâche. Que discerner dans cette saine détestation sinon l’expression d’une convoitise légitime ? Les susnommés ne lui ont-ils pas, injustement, dérobé sa chaire et son auditoire ? Celui que son époque tarde à accueillir en philosophe ne connaîtra le succès qu’en 1853, à la parution de ses fantaisistes Parerga et Paralipomena.

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Infinivertie, elle détranquillise

• Rédigé par Marc Bonnant - -

« J’écris pour me parcourir. Peindre, composer, écrire : me parcourir. Là est l’aventure d’être en vie. »

Henri Michaux fut toute sa vie un découvreur de mondes. À soixante-dix ans, il se fait dispenser des leçons de planeur ; à quatre-vingts, il arpente les volcans d’Auvergne. Et quelques heures avant de s’éteindre, ne réclame-t-il pas un livre de sciences naturelles ? La carte des territoires qu’il a conquis supplante les géographies traditionnelles. Dans cette topologie pour partie imaginaire, où extérieur et intérieur s’entremêlent, le pays des paradis artificiels est une découverte tardive. Pourtant, l’entreprise d’exploration est appréhendée avec le plus grand sérieux, et peut-être aussi avec outrecuidance. Michaux travaille à Connaissance par les gouffres lorsqu’il écrit à Jean Paulhan : « Tu ne regretteras pas ta patience. C’est toute la psychiatrie redigérée que tu recevras. »

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Et la bêtise ? Elle s'améliore…

• Rédigé par Marc Bonnant - -

En 2005 paraissait Le Sentiment d’imposture, et déjà, Belinda Cannone rompait avec l’austérité impersonnelle de l’essai en tutoyant son lecteur afin de mieux l’impliquer – ou mieux le confondre. Cette fois encore, en adoptant une manière démarquée, en l’occurrence celle du dialogue philosophique (proche, dans sa forme « socratique », du Neveu de Rameau), l’auteure de La Bêtise s’améliore briguera-t-elle une nouvelle distinction ? (1) C’est à souhaiter. Il est certain que l’aspect délié de ce livre répond moins à la convenance éditoriale qu’au bonheur d’écrire sans contraintes, et autant l’avouer : ceux qui, à mon instar, ont l’heur de connaître Belinda Cannone n’en seront guère surpris. Voici offerte l’occasion d’une rencontre avec un esprit mutin et sagace, libéré des humeurs capricieuses de l’opinion et concentré sur son meilleur art pour nous entretenir gaiement d’un sujet dont la gravité eût réclamé, sous la plume du dépit ou du dédain, une fastidieuse solennité. Cette seule gageure valait qu’on se penchât sur l’ouvrage, si le sujet lui-même n’avait pas déjà piqué notre intérêt en suscitant la crainte de nous savoir, une fois de plus, concernés.

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Lettre à un ami lointain

• Rédigé par Marc Bonnant - -

Pour Cioran, la liberté commence par un renoncement aux origines. La volonté de penser et d’écrire dans une langue étrangère constitue le premier mouvement d’un exil désiré, quitte à se dépendre de toutes les servitudes du cœur. S’acclimater au néant, se découvrir des affinités avec le chaos, devient un principe de survie : « Tout est superflu. Le vide aurait suffi. » Cioran vivra cet abandon dans le remords.

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