Une certaine presse n’avait pas attendu que la dépouille de Cioran refroidisse pour se souvenir du sympathisant de la Garde de Fer, du jeune extrémiste de la Transfiguration, (1) comme s’il convenait mieux de conspuer un mort encore chaud plutôt qu’un moribond… La même presse n’avait-elle pas acclamé la parution de chacun de ses livres, saluant le style hors pair, l’esprit élevé ? Notre « gai pessimiste » valait bien ce dernier paradoxe, pour l’honneur — ou le déshonneur.
Il est des auteurs que l’on cache parce qu’ils ont manqué de rayonnement, d’attrait, d’audience, ou parce que, flanqués de leur rôle mineur, on ne les juge pas dignes d’être montrés. Alors nous les écartons et finissons par les remiser dans le déni ou dans l’oubli, comme s’ils n’avaient jamais existé. Il en est d’autres, en outre, dont on voudrait se débarrasser à tout prix, une fois lus, parce qu’ils nous ont dérangés dans notre confort, nous ont troublés, éperonnés de leur acuité blessante. Ceux-là nous rappellent sans ménagement à nos faiblesses de lecteur, jusqu’à nous faire captifs d’un malaise sournois, durable. C’est le cas de l’incommodant monsieur Caraco.