Le mystère de Nerval réside au fond des yeux d’Aurélia. C’est la clef, et cette vérité implicite, que nul ne saurait contredire, traverse uniment près d’un siècle et demi de littérature biographique consacrée à celui que Théophile Gautier, son ami, définira ainsi : « Comme les hirondelles quand on laisse une fenêtre ouverte, il entrait, faisait deux ou trois tours, trouvait tout bien et tout charmant, et s’envolait pour continuer son rêve dans la vie. » Un oiseau, à l’instar de ceux qui peuplent Aurélia, messagers d’une éternité rêvée où vivent les êtres disparus et jadis chéris. Que sait-on de Nerval ? À peu près tout ce qu’on a besoin de connaître : son ascendance, son enfance, sa vie très ordinaire d’écrivain, sa lente descente aux enfers… Rien n’échappera à l’enquêteur scrupuleux pour peu qu’il y consacre le temps nécessaire, et malgré cela il subsistera toujours, une fois les témoignages épuisés et les corrélations déduites, l’énigme opiniâtre d’un homme se rêvant un autre, puis devenant cet autre jusqu’au dédoublement, jusqu’à l’expropriation de soi par soi.
« Je n’ai pas peur d’un danger. Un homme qui entrerait, je le tuerais sans frissonner. […] J’ai peur de moi ! j’ai peur de la peur ; peur des spasmes de mon esprit qui s’affole, peur de cette horrible sensation de la terreur incompréhensible. » (1)
« J’écris pour me parcourir. Peindre, composer, écrire : me parcourir. Là est l’aventure d’être en vie. »
Henri Michaux fut toute sa vie un découvreur de mondes. À soixante-dix ans, il se fait dispenser des leçons de planeur ; à quatre-vingts, il arpente les volcans d’Auvergne. Et quelques heures avant de s’éteindre, ne réclame-t-il pas un livre de sciences naturelles ? La carte des territoires qu’il a conquis supplante les géographies traditionnelles. Dans cette topologie pour partie imaginaire, où extérieur et intérieur s’entremêlent, le pays des paradis artificiels est une découverte tardive. Pourtant, l’entreprise d’exploration est appréhendée avec le plus grand sérieux, et peut-être aussi avec outrecuidance. Michaux travaille à Connaissance par les gouffres lorsqu’il écrit à Jean Paulhan : « Tu ne regretteras pas ta patience. C’est toute la psychiatrie redigérée que tu recevras. »