Transversalité du paradoxe

Rédigé par Marc Bonnant - -

Comme souvent en contexte de partie truquée, les embûches apparaissent dès l’entame. Peut-on dire, sans se méprendre absolument, que le paradoxe n’est qu’une double contradiction, c’est-à-dire une contradiction dont la contraposée est aussi contradictoire ? Le mot que le chinois possède pour dire à la fois « contradiction » et « paradoxe » est conforme à ce raccourci et renvoie à un contentieux aussi vieux que la pensée elle-même, celui qui oppose l’absurde à la raison ; en effet, máo dùn signifie littéralement javelot-bouclier, où l’union des antagonistes, empruntés à la parole millénaire de Han Fei, reflète admirablement la consubstantialité des contraires dans l’opposition problématique entre la pointe qui perce tout écu et l’écu qui protège de toute pointe, comme s’il fallait montrer, en guise de précaution liminaire, que nous sommes en présence d’une arme à double aspect, ici offensive, là défensive, dont l’usage concomitant se traduit aussitôt par une neutralisation réciproque.

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Dernière escale avant le Vide

Rédigé par Marc Bonnant - -

Une certaine presse n’avait pas attendu que la dépouille de Cioran refroidisse pour se souvenir du sympathisant de la Garde de Fer, du jeune extrémiste de la Transfiguration, (1) comme s’il convenait mieux de conspuer un mort encore chaud plutôt qu’un moribond… La même presse n’avait-elle pas acclamé la parution de chacun de ses livres, saluant le style hors pair, l’esprit élevé ? Notre « gai pessimiste » valait bien ce dernier paradoxe, pour l’honneur — ou le déshonneur.

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L’injure, extrema ratio

Rédigé par Marc Bonnant - -

« Qui critique les autres travaille à son propre amendement. » (1)

Il n’est pas une page de Schopenhauer qu’on ne lise sans opiner du bonnet, avec force résignation, consterné par la vérité originale, parfois cruelle, qu’on y découvre, et d’emblée, à la joie que l’on éprouve de se faire encore surprendre par un « classique », tout iconoclaste qu’il fût déjà en son temps, on conçoit aisément que ce penseur-là ait pu exaspérer ses pairs avec son impertinence chronique, son incoercible agressivité. Fichte, Hegel, Schelling… Postkantien comme eux, il préférait la première mouture de la Critique à sa version tardive, qu’il jugeait trop théiste à son gré. Schopenhauer l’athée, le « pessimiste de Francfort », se range dans un postkantisme singulier, loin des académismes : son tour incisif et son goût du paradoxe le distinguent de ces « philosophrastes » qu’il exècre au point de les agonir sans relâche. Que discerner dans cette saine détestation sinon l’expression d’une convoitise légitime ? Les susnommés ne lui ont-ils pas, injustement, dérobé sa chaire et son auditoire ? Celui que son époque tarde à accueillir en philosophe ne connaîtra le succès qu’en 1853, à la parution de ses fantaisistes Parerga et Paralipomena.

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