Dans le regard d’Aurélia

• Rédigé par Marc Bonnant - -

Le mystère de Nerval réside au fond des yeux d’Aurélia. C’est la clef, et cette vérité implicite, que nul ne saurait contredire, traverse uniment près d’un siècle et demi de littérature biographique consacrée à celui que Théophile Gautier, son ami, définira ainsi : « Comme les hirondelles quand on laisse une fenêtre ouverte, il entrait, faisait deux ou trois tours, trouvait tout bien et tout charmant, et s’envolait pour continuer son rêve dans la vie. » Un oiseau, à l’instar de ceux qui peuplent Aurélia, messagers d’une éternité rêvée où vivent les êtres disparus et jadis chéris. Que sait-on de Nerval ? À peu près tout ce qu’on a besoin de connaître : son ascendance, son enfance, sa vie très ordinaire d’écrivain, sa lente descente aux enfers… Rien n’échappera à l’enquêteur scrupuleux pour peu qu’il y consacre le temps nécessaire, et malgré cela il subsistera toujours, une fois les témoignages épuisés et les corrélations déduites, l’énigme opiniâtre d’un homme se rêvant un autre, puis devenant cet autre jusqu’au dédoublement, jusqu’à l’expropriation de soi par soi.

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Le testament de Zweig

• Rédigé par Marc Bonnant - -

Parmi d’autres cas subalternes, la littérature du XXème siècle connaît deux exemples remarquables de mémoire eidétique : le Funes de Borges et le Joueur d’échecs de Zweig. Du premier, nous dirons qu’il s’agit d’une créature fabuleuse élaborée dans la pure tradition de l’imaginaire borgésien ; l’immense mémoire d’Irénée Funes serait comme un récipient sans fond, un mémorandum perpétuel où tout nouveau souvenir viendrait s’ajouter à la somme inaltérable des précédents. Une pareille faculté, exprimée dans cet infini si cher à l’Argentin, ne saurait se rencontrer même dans l’hypermnésie la plus déclarée.

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Dernière escale avant le Vide

• Rédigé par Marc Bonnant - -

Une certaine presse n’avait pas attendu que la dépouille de Cioran refroidisse pour se souvenir du sympathisant de la Garde de Fer, du jeune extrémiste de la Transfiguration, (1) comme s’il convenait mieux de conspuer un mort encore chaud plutôt qu’un moribond… La même presse n’avait-elle pas acclamé la parution de chacun de ses livres, saluant le style hors pair, l’esprit élevé ? Notre « gai pessimiste » valait bien ce dernier paradoxe, pour l’honneur — ou le déshonneur.

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Pierre parmi les pierres

• Rédigé par Marc Bonnant - -

Ce sont les Nouvelles Éditions Oswald (NEO) qui m’ont révélé Jean Ray alors que je n’en connaissais rien, sinon que sa postérité légitime l’érigeait en « digne successeur de Lovecraft en Europe » ou en « Edgar Poe belge ». Son recueil Le Carrousel des Maléfices (1) m’avait déjà étourdi par sa concision scrupuleuse, son vocabulaire choisi et aussi ce scientisme qui annonçait déjà l’émergence d’un fantastique « érudit ». Mais sans le savoir j’avais abordé le continent Ray par ses rives les moins attrayantes, car ce que j’allais découvrir, à la suite de cette frugale mise en bouche, n’avait de comparable qu’une immersion pétrifiante sous les glaces d’une banquise…

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Le plus romantique des parnassiens

• Rédigé par Marc Bonnant - -

Pour quel idéal le cœur de Sully Prudhomme bat-il ? Parnasse, romantisme : où va sa préférence ? Sans doute n’a-t-il jamais souhaité choisir. Il réside dans cet entre-deux de la poésie où Dierx, Banville, Mendès et d’autres ont séjourné aussi, un espace intermédiaire partagé entre raison et passion, entre l’amour des hommes et celui de la nature, comme si toute inféodation à un genre, tout enfermement, s’avérait contraire à la vocation du poète dont la vacillation permanente, si elle n’exclue pas l’engagement, n’arrête jamais aucune conviction décisive. Révélé par Sainte-Beuve en 1865 avec Stances et Poèmes, Sully Prudhomme n’a que vingt-six ans et déjà son élégiaque « Vase brisé » est récité partout. Gloire discrète et précoce pour ce fils de bourgeois se rêvant un autre destin que celui qu’on lui propose. Une mère veuve et austère, une santé précaire qui lui ferme les portes de Polytechnique, un cursus juridique qu’il achève dans la fadeur des études notariales, une brève carrière d’ingénieur chez Schneider, des amours contrariées et douloureuses : tel est le bois dont Sully Prudhomme est fait, une essence à la saveur un peu âpre mais au cœur recelant une infinie richesse de nuances.

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