Darius

• Rédigé par Marc Bonnant - -

Probablement étais-je, ce soir-là, le seul client attablé au Caseddu de Zi’ Antò à s’étonner du retard des sœurs Dorgali, et peut-être aussi étais-je le seul des mâles en présence à s’émouvoir de la tenue outrageante de Letizia quand elle apparut à la porte de l’auberge, secondée par Jeannie. Il n’y eut guère que le vieux Antò, accoudé à son comptoir en genévrier, pour ribouler des quinquets à l’arrivée des deux nymphes.

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Les formes de l’itération chez Borges

• Rédigé par Marc Bonnant - -

Celui qu’Alfred Knopf refusera d’éditer parce qu’il était, selon lui, « intraduisible » (1) deviendra l’un des plus grands écrivains de son temps. Borges s’éteint à Genève en 1986 après avoir illuminé les lettres latines de son immense culture pendant près d’un demi-siècle, et ce en dépit d’une cruelle cécité accueillie avec une stoïque résignation. Claude Mauriac, s’accordant à l’unanime hommage que la critique et le public lui ont rendu, dira de lui : « Après l’avoir lu, nous ne sommes plus les mêmes. Notre vision des êtres et des choses a changé. Nous sommes plus intelligents. Sans doute même avons-nous plus de cœur. » L’amour des lecteurs pour cet illustre Argentin, que certains ont prétendu excentrique, bien à tort, récompense les objectifs atteints d’une œuvre profondément originale dont la science facétieuse n’a pourtant jamais entravé l’accessibilité. Pour en comprendre le paradoxe, cet article se propose de synthétiser et de commenter les arguments de Roger Caillois publiés chez Fata Morgana en 2009. (2)

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L’île de désamour

• Rédigé par Marc Bonnant - -

Quel embarras, quel sentiment d’impuissance devant le flot sans fin de commentaires suscités par la question du racisme anti-corse… Il semble que la gravité du propos ait délié les langues au point de confronter l’injure à l’injure, la bêtise à la bêtise et, en fin de compte, l’absurde à l’absurde. Parfois, quand le réquisitoire ne sert plus la cause qu’il défend, parce qu’il en a oublié les ressorts, l’intérêt du dialogue de sourds s’amenuise et se perd. L’insulte est une fleur des sables, qui jaillit de rien et se nourrit de peu ; là où elle éclot, l’esprit n’a pas cours. L’employer est illusoire, sinon contreproductif, n’en déplaise à Schopenhauer. (1) À tout racisme ses causes. Aussi, plutôt que de répondre à la violence par la violence, peut-être vaudrait-il mieux se concentrer sur les origines du problème et dresser une étiologie du mal. Pour ceux auxquels cette mise en matière aura déjà coûté un bâillement, je suggère la lecture de trois sources roboratives qui les remettront sur pied séance tenante : la Petite anthologie du racisme anti-corse de Jean-Pierre Santini, (2) la Petite anthologie du racisme pro-corse de François de Negroni (3) et la Lettre aux anti-corses de Gabriel-Xavier Culioli. (4)

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Paroles d’un peuple défunt

• Rédigé par Marc Bonnant - -

Aborder une langue étrangère, c’est toucher aux portes d’un nouveau monde, aux rives d’un continent vierge dont la juste perception ne peut s’obtenir que par conversion. Mais exhumer une langue morte offre, en plus du frisson de l’apostasie, la promesse de mettre en lumière un monde fossile figé dans l’ambre des siècles, présumé intact sauf à prétendre que le mythe ou la Foi en ait réécrit l’histoire par le prisme des palimpsestes. L’approche de l’étrusque a nourri les fantasmes de tous les paléographes qui, penchés sur quelque gravure millénaire comme s’ils scrutaient l’obscurité d’un gouffre sans fond, ont éprouvé les vertiges les plus extatiques de la confusion jusqu’à souhaiter que cette langue défunte demeurât mystérieuse à jamais.

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Autopsie d’un contrat faisandé

• Rédigé par Marc Bonnant - -

Prenons un inconnu, que nous nommerons pour la circonstance monsieur Niquedouille. Choisissons-le enjoué et laborieux. Une lubie opiniâtre l’habite depuis l’enfance : il rêve de devenir écrivain. Son éducation équilibrée et une grande consommation de livres l’ont doté d’une certaine facilité d’expression, aussi estime-t-il que son travail et sa détermination finiront par le mener là où il souhaite. Comme beaucoup, il croit qu’il suffit d’écrire pour être lu, que l’on naît auteur et que cette innéité ne peut être pertinemment contrariée. Alors, tout à son projet, il couche sur le papier une historiette de son cru qui, au fil des pages, devient un roman. Hélas ! le récit est replet et pataud ; il réunit tous les défauts d’une première œuvre. Qu’importe. Une fois le texte achevé et relu, (1) monsieur Niquedouille dresse une liste d’éditeurs en renom et leur expédie son manuscrit. (2) Les uns après les autres, les exemplaires lui reviennent, accompagnés de lettres de refus. (3)

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