Transversalité du paradoxe

• Rédigé par Marc Bonnant - -

Comme souvent en contexte de partie truquée, les embûches apparaissent dès l’entame. Peut-on dire, sans se méprendre absolument, que le paradoxe n’est qu’une double contradiction, c’est-à-dire une contradiction dont la contraposée est aussi contradictoire ? Le mot que le chinois possède pour dire à la fois « contradiction » et « paradoxe » est conforme à ce raccourci et renvoie à un contentieux aussi vieux que la pensée elle-même, celui qui oppose l’absurde à la raison ; en effet, máo dùn signifie littéralement javelot-bouclier, où l’union des antagonistes, empruntés à la parole millénaire de Han Fei, reflète admirablement la consubstantialité des contraires dans l’opposition problématique entre la pointe qui perce tout écu et l’écu qui protège de toute pointe, comme s’il fallait montrer, en guise de précaution liminaire, que nous sommes en présence d’une arme à double aspect, ici offensive, là défensive, dont l’usage concomitant se traduit aussitôt par une neutralisation réciproque.

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Le langage du silence

• Rédigé par Marc Bonnant - -

L’absence de parole suppose-t-elle nécessairement une absence de communication ? La définition du silence n’obvie pas à cette méprise ordinaire que chacun commet lorsqu’il fait abstraction de toute inférence métalinguistique dans le processus du langage. Comme on ne peut exclure l’existence d’un silence absolu, non communiquant, on se saurait ignorer le vacarme assourdissant de certains silences, semés à dessein dans les inflexions de la parole parmi lesquelles ils signifient tout autant, sinon davantage. Car loin de nier le langage, loin de le priver de sa fonction naturelle, le silence est apodictiquement consubstantiel à ce dernier : sans silence(s), nulle parole. De même que l’espace typographique confère à l’écriture sa respiration, le blanc sonore projette le discours au-delà de la matière audible, il l’exalte en opposant au néant sa structure labile faite d’interstices et de césures.

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Gunnar

• Rédigé par Marc Bonnant - -

Il y a un enfant assis à l’extrémité du ponton. Il pêche des éperlans avec un carrelet pendu au bout d’un cordeau. De temps à autre, sa main disparait dans un petit seau et en soulève une pleine poignée d’appât qu’il disperse devant lui, d’un revers de bras.

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Les automnes de l’âme

• Rédigé par Marc Bonnant - -

La mélancolie n’a plus cours, du moins dans l’état où les Romantiques nous l’ont laissée. Seuls désormais les nostalgiques s’emploient encore à la faire chanter lorsqu’ils s’émeuvent ; mais la nostalgie, pour puissante qu’elle soit, reste un art mineur. Déjà le Baudelaire sarcastique de Mon cœur mis à nu avait annoncé la fin d’un temps. La modernité littéraire s’est inventé un succédané depuis le décadentisme, une autre façon de désespérer, plus accessible, plus pernicieuse aussi : la désinvolture, autrement dit le dédain de tout, le culte de l’indifférence. On a vu, peu à peu, la posture de l’écrivain incliner au nonchaloir, sinon à l’indigence, le sujet être placé si haut qu’il disparaît du récit, le verbe s’assécher, se corrompre, se disloquer, l’expression même, à force de suggérer, cesser de signifier… Tout cela au nom d’une nouvelle manière de dire son ennui ; c’est bien cher payé. Il ne reste plus rien, semble-t-il, de la prose expansive et prodigue des initiateurs du « vague des passions », même si la postérité oublieuse ne peut dignement s’y soustraire sans prétendre au déni de filiation. Simple abandon ou dégénérescence d’un genre épuisé ?

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La possibilité du bonheur

• Rédigé par Marc Bonnant - -

Tous les hommes concourent au désir d’être heureux. La recherche du bonheur, comme une loi naturelle selon Diderot, orchestre nos vies : « Il n’y a qu’une passion, celle d’être heureux. » Conducteur ubiquiste de nos destins, il demeure pourtant rare dans la littérature ; si les livres parviennent à nous combler de joie souvent, force est de constater qu’ils s’emparent peu du sujet. Comment interpréter cette carence ? Y aurait-il inadéquation entre écriture romanesque et expression du bonheur ? Peut-être faut-il rappeler que l’on n’est pas heureux de la même manière en fonction de l’époque et du lieu. Dans l’Antiquité déjà, le mot bonheur recouvre davantage un idéal qu’une réalité. L’hédoniste ne recherche pas le plaisir pour le plaisir, mais plutôt le plaisir gagné sur la souffrance, car une existence toute entière dévolue à la jouissance est absurde à l’échelle du bonheur. En cela, l’hédonisme n’est qu’un pessimisme déguisé, mais un pessimisme pragmatique et moral. Il n’y a pas de désir satisfait : telle sera par la suite l’affirmation de l’épicurisme, dont l’austérité inspire à l’ascèse. Les grands monothéismes reprendront cette idée à leur compte.

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