Un peu de nous repose

Rédigé par Marc Bonnant - -

Depuis la ligne de crête qui part de l’Urseddu en remontant vers le col, mon regard glisse sur la courbe de cette vallée profonde qu’un camaïeu de jade et d’émeraude ourle au fil d’une rivière mussée sous les yeuses.

Le chemin qui mène à la prise de Caracutu épouse les caprices d’un adret pentu, dégradé par l’ouvrage des pluies. J’ai laissé là, jadis, un peu de nous. Un peu de mon chagrin, de ma tristesse hiémale. Et tandis que j’approche du grand bassin, les ombres s’entremêlent, la forêt se referme, les eaux sourdent, l’air se corrompt. C’est ici que le sentier expire, au bord de la rivière.

Derrière la crête, là-haut, je devine la chaleur du soleil sur i Cruviddara, je devine le silence sélène de Pulgiari, les anciens chaufours et la chapelle en ruine, la « strada cavadaghja » de la Faria Catena, je devine la sainte croix de laquelle on aperçoit la mer, entre deux arbres morts. Ce paysage n’est pas visible depuis l’endroit où je suis. Il s’impose au souvenir de qui s’en souvient, il s’offre entier à qui en éprouve le manque.

J’ai ouvert le vallon de Caracutu comme on ouvre un coffre à jouets, avec l’impatience maladroite d’un enfant. Dans l’eau noire du bassin, un peu de nous repose. ◼