Entre dissonance et dissidence

Rédigé par Marc Bonnant - -

L’œuvre de György Ligeti a bien souvent célébré l’heureuse rencontre de la musique et des mathématiques. D’aucuns se souviennent de son Requiem comme d’une pièce trop sépulcrale, mais n’oublions pas que Ligeti a voulu en faire l’exemple d’un compromis entre art et science : l’usage des chiffres n’y est pas seulement expérimental et ludique, il participe du processus de création.

Sous les doigts ingénieux du musicien scientifique, l’émotion prend corps et se cristallise. Mais où se situe l’homme dans cette démiurgie glaciale ? On le trouvera plus présent dans le Concerto roumain, datant de 1951. Cette œuvre résonne comme la rémanence d’un vieux souvenir, remontant à une époque où l’occupation magyar s’étend encore jusqu’aux pieds des Carpates. Ligeti découvre les mystères du folklore valaque, avec sa curiosité d’enfant. Des chamans survoltés et grimés jouent du violon, du “cimpoi” (cornemuse) et surtout du “bucium”, sorte d’alphorn. Magique et troublante, l’anomalie tonale du bucium correspond à une acoustique logique, naturelle.

Ligeti étudiera la musique populaire roumaine jusqu’à la livraison de son Concerto, qui fut interdit d’exécution à Budapest, ne répondant pas aux canons esthétiques imposés par le régime. Un dissident est né : contre l’ordre et l’harmonie, György Ligeti érige un style radicalement chromatique. La dictature stalinienne a fortuitement fait de ce beau Concerto roumain le point d’achoppement de deux revendications connexes : le droit à la dissonance et le refus de l’avilissement. ◼


• The Ligeti Project II, György Ligeti, Berliner Philharmoniker (direct. Jonathan Nott), Teldec Classics, 2001.